lundi 14 septembre 2009

Un article sur les AMAP paru dans "Les Echos"

Paniers écolos : la belle croissance des légumes « verts »

[ Les Echos, 10/09/09 ]

Se nourrir de légumes cultivés de façon écologique en soutenant un petit producteur local : le concept du panier hebdomadaire lancé par les Amap (associations pour le maintien de l'agriculture paysanne) ne séduit pas que les bobos. Il se propage un peu partout en France, s'enracine dans des quartiers populaires. Et intéresse de plus en plus de monde, de la FNSEA aux élus locaux.

Elles se multiplient, sans aucune publicité, essentiellement par le bouche-à-oreille. Les Amap, ces associations pour le maintien de l'agriculture paysanne, qui proposent un lien direct entre fermiers et consommateurs, poussent comme des champignons : 35 groupes en projet en Ile-de-France, 50 en Rhône-Alpes… Le panier de la ménagère devient militant. Rejet des produits calibrés au goût aléatoire qui submergent les gondoles ? Volonté de réduire au maximum les « foodmiles », autrement dit la distance entre le lieu de production des aliments et notre assiette ? Souci de préserver les fermes de proximité, en privilégiant une agriculture écologique, alors que la filière fruits et légumes est en crise ? Il y a bien des raisons de devenir un « amapien »…

A deux pas du Moulin à café, bar-restaurant associatif du 14 arrondissement, à Paris, Xavier Valet, agriculteur seine-et-marnais, a déballé comme tous les jeudis soirs ses salades, pommes de terre, carottes, radis… Des légumes encore pleins de terre, mais ce n'est pas pour déplaire à la clientèle : bobos, mamans avec enfants, retraités dissertent tout en emplissant leur cabas, quasi machinalement. Ils font partie des 80 membres d'une Amap au nom bucolique, Les Lapereaux des thermopyles. Tous connaissent parfaitement Xavier, considéré comme « le fermier de famille »,et ont accepté de prépayer pour la saison leur panier hebdomadaire de 4 à 5 kilos. En contrepartie, le maraîcher promet des produits frais et des pratiques respectueuses de l'environnement. Afin que chacun puisse en juger, et même donner un coup de main, il ouvre régulièrement son exploitation. Le week-end prochain, aux quatre coins de la France, des amapiens iront ainsi à la rencontre des paysans, discuter des prochains contrats.

Partager les risques

Ceux de La Clé en sol, une Amap basée dans le nord de la Seine-et-Marne, sont conviés chez l'exploitant picard qui vient habituellement les approvisionner, en tandem avec un confrère ardennais afin d'offrir un panier plus varié. Rien de tel qu'un pique-nique champêtre pour convaincre ces urbains de partager les risques d'un métier rural… « Quand les récoltes subissent une invasion de rats des champs ou des gelées, quand il faut se contenter l'hiver des quelques produits de saison, on est plus compréhensif »,souligne Daniel Enselme, cofondateur de cette Amap limitée volontairement à une trentaine d'adhérents.

La confiance s'instaure aussi grâce à la transparence des comptes exigée pour fixer le juste prix. Les adhérents peuvent décider de payer plus cher un panier généralement facturé une quinzaine d'euros, afin de soutenir un jeune producteur. « Il me restait seulement 400 euros à la fin du mois et l'Amap a augmenté de 2 euros le prix du panier pour que j'atteigne les 1.000 euros,confie Xavier Valet. A trente et un ans, je travaille sept jours sur sept, mais je me sens serein en dépit des 150.000 euros investis en matériel ces cinq dernières années. » Son confrère Laurent, installé depuis neuf ans dans l'Essonne, livre 75 paniers par semaine et parvient à gagner maintenant 2.000 euros nets par mois.

Cette relation amicale, ce sentiment paradoxal de liberté à composer son menu en fonction de « l'assortiment surprise » du fermier font le succès des Amap, aux antipodes du modèle proposé par le couple grande distribution-agriculture intensive. C'est en 2001, sur fond de scandales alimentaires, d'engouement pour le bio et de déprime agricole, qu'un agriculteur de la Confédération paysanne, menacé par l'urbanisation toulonnaise, met les pieds dans le plat : « Vous achetez 80 % de vos fruits et légumes en grande surface, vous ignorez pratiquement tout de là où ils poussent, de comment ils poussent ! » Daniel Vuillon lance la première Amap en s'inspirant de modèles américains et japonais (lire encadré).

Très implantées en Provence, leur berceau historique, en Rhône-Alpes, où la politique régionale favorise l'économie sociale, ainsi qu'en Midi-Pyrénées, région préoccupée par le souci de sauver ses petites exploitations, les Amap se développent désormais de manière exponentielle en Ile-de-France, avec 130 groupes, et depuis peu dans le Nord-Pas-de-Calais. Aquitaine, Pays de la Loire, Picardie s'activent aussi. En un an, le nombre d'Amap a doublé sur le territoire pour atteindre 1.200 groupes. Soit 60.000 adhérents, environ 200.000 consommateurs concernés, plusieurs centaines de paysans impliqués, un volume financier évalué à 32 millions d'euros par an.

Appel à l'épargne solidaire

On pensait cette démarche réservée à une élite, la greffe prend surtout là où le tissu associatif local est très fort et où les bénévoles sont motivés, notamment dans des arrondissements parisiens ou des banlieues plutôt populaires : Montreuil, Pantin, Les Lilas, où une Amap a mis en place des paniers solidaires grâce à une petite subvention municipale. « Certes, on ne touche pas encore les grands ensembles, mais déjà les classes moyennes. Etre amapien est moins une question de pouvoir d'achat que de culture », observe François Lerique, à l'origine des Jardins de Cérès, dans l'Essonne.

Et le potentiel semble énorme. « Jusqu'où iront les Amap ? Cette expérience relativement marginale peut-elle changer quelque chose au paysage agricole et alimentaire d'un plus grand nombre de Français ? » s'interroge Claire Lamine, sociologue à l'Inra, dans son livre « Les Amap, un nouveau pacte entre producteurs et consommateurs ». Plus qu'une assurance sanitaire, l'Amap est « un modèle agroalimentaire durable qui prend du sens parce que l'on s'implique collectivement », insiste Jérôme Déhondt, responsable d'Amap Ile-de-France.

Pour qu'une exploitation soit viable, un producteur doit disposer d'au moins 3 hectares lui permettant de fournir une soixantaine de paniers hebdomadaires, l'idéal étant de parvenir à s'agrandir pour livrer 100 paniers. La foncière Terre de Liens a vu le jour en 2006 pour collecter l'épargne solidaire et soustraire des surfaces agricoles périurbaines à la spéculation. « En France, près de 190 exploitations disparaissent chaque semaine, et une surface agricole équivalente à celle d'un département disparaît tous les six ans, alors que plus de 50 % des produits bio consommés sont importés », déplore Valérie Rosenwald, créatrice de Terre de Liens en Ile-de-France. La foncière a déjà récolté 7,5 millions d'euros auprès de 3.300 actionnaires, pour acquérir des espaces un peu partout en France, loués à l'année à des paysans. Le plafond de collecte admis ayant été atteint, un visa de l'Autorité des marchés financiers pour un nouvel appel à l'épargne publique vient d'être obtenu.

Sensibilisés, les élus locaux commencent à s'intéresser à cette agriculture de proximité. Certains acquièrent des terres pour y installer des jeunes, comme l'intercommunalité de Marne et Gondoire, d'autres mettent en place des couveuses expérimentales où des producteurs d'Amap transmettent leur savoir. Le ministère de l'Agriculture et la région Ile-de-France apportent leur soutien à ces jeunes pousses. « Après la phase de maintien des exploitations, on entre dans celle du développement,affirme Jérôme Déhondt. Nous montons Le Champ des Possibles, une coopérative d'emploi pour rémunérer les paysans formateurs. » Car s'engager dans une agriculture diversifiée sans engrais chimiques ni pesticides n'est pas facile. « Il faut cultiver 40 variétés pour en mettre régulièrement 5 dans les paniers », souligne Xavier Valet.

Les Amap gagnent de l'influence aussi auprès de la FNSEA, qui a longtemps freiné leur croissance. Aujourd'hui, les chambres d'agriculture incitent leurs adhérents à proposer des paniers fraîcheur à la sortie des gares, à commercialiser leurs produits fermiers sur les Marchés des Producteurs de Pays ou à vendre directement via plus de 3.200 exploitations du réseau Bienvenue à la Ferme.

Combat contre le « Grand Paris »

Reste à convertir cette notoriété naissante en puissance d'action politique… Derrière les pôles d'excellence scientifique du plateau de Saclay, les 200 amapiens des Jardins de Cérès s'y essaient, en luttant pour soustraire 2.800 hectares agricoles aux appétits des promoteurs. En 2005, ils ont créé la SCI Terres Fertiles, mobilisant jusqu'à un millier de personnes pour acquérir 20 hectares et maintenir un céréalier dans sa ferme, à charge pour ce dernier de se convertir progressivement au bio et de cultiver 4 hectares en maraîchage. Depuis 2006, la nouvelle cible de leur combat s'appelle le « Grand Paris », dont la réalisation pourrait aboutir à la destruction d'un millier d'hectares verts sur le plateau.

Efficaces localement, les Amap ont souvent du mal à s'organiser à l'échelon national, même si elles s'inscrivent dans le mouvement Alliance Paysans Ecologistes Consommateurs. Leurs adhérents ont des profils et des degrés d'implication trop divers. Mais, à défaut d'exploiter leur potentiel politique, les Amap contribuent incontestablement à changer les comportements. Multipliant les liens avec d'autres acteurs du commerce équitable, ces groupes étendent leur engagement à un nombre croissant de produits : viande, poisson, oeufs, pain, confitures, miel, produits laitiers transformés, cosmétiques naturels et, pourquoi pas, bientôt préachat de CD et de places de concert pour favoriser la création artistique !

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